Le temps de la famille
L’abbé jean Vieillard né à Paris, le 9 février 1922 dans une famille de traditions militaire et scientifique. En effet, son grand-père maternel, le colonel Léopold Jahan, meurt au champ d’Honneur en 1915, dans la Somme, comme son grand-père paternel, le général Ernest Vieillard qui meurt aux combats en 1915, lui-même polytechnicien comme son fils Georges qui épousera en 1921 sa mère. Il fut ainsi élevé par des hommes et des femmes de devoir, par des hommes et des femmes de foi. « Marche ou crève » était leur mot d’ordre. Ce qui n’a pas empêché la famille, bien au contraire, de réaliser de grandes aventures. La première aventure : la Cie des Machines Bull.
Si l’ingénieur norvégien Fredrik Rosing Bull (1882-1925) a été l’initiateur de l’informatique Européenne, il est hors de doute que Georges Vieillard en a été le véritable pionnier et le réalisateur principal.
C’était un travailleur acharné, bouillonnant d’idées novatrices à l’esprit juste, audacieux et prudent.
Son épouse, très fière, d’avoir un époux créateur souffrait néanmoins, discrètement, de ses éternels travaux à la maison, de ses voyages à travers le monde pendant qu’elle s’occupait seule de ses enfants. Un jour, elle dit à son fils : « Ton père n’a jamais eu qu’une seule maîtresse, la Cie Bull ».
Mais une fois sa progéniture moins prenante, elle a prit part aux différents déplacements de son époux et en a éprouvé beaucoup de satisfaction.
La deuxième aventure : l’épanouissement d’une famille nombreuse.
Les parents de l’abbé Vieillard eurent 5 enfants, 3 garçons et 2 filles, Jean étant l’aîné.
Le souci de ses parents pour l’éducation de leurs 5 enfants était très fort.
Un père excessivement exigeant quant au travail intellectuel et une mère guère plus complaisante que son époux quant aux résultats scolaires.
L’éducation de la foi fut illustrée par l’éducation des qualités humaines via le scoutisme, le sport ou le dévouement aux autres.
En 1974, son père meurt et en tant qu’aîné, l’abbé Vieillard veille sur sa mère et lui sert de conseiller. Des épreuves attendaient cette dernière. Elle perdit 2 petits-enfants dont un Saint Cyrien assassiné aux Comores dans des conditions tragiques.
La vieillesse guettant, Madame Vieillard fut recueillie chez une de ses filles jusqu’à sa mort à plus de 100 ans. Pour son centenaire, ses enfants et leurs conjoints, ses 16 petits-enfants et 39 arrières petits-enfants étaient autour d’elle.
« Ce fut le triomphe d’une vie qui a trouvé sa réussite et sa cohérence dans la foi. »
Le temps des études
L’abbé Vieillard termina brillamment ses études dans l’enseignement libre à Sainte Croix de Neuilly en obtenant les baccalauréats de Mathématiques et de Philosophie à 16 ans, après avoir gagné le 1er prix du Concours Général des mathématiques.
Il débuta ses « classes préparatoires » au lycée Henri IV en 1938-1939.
Il est important de noter qu’il éprouva entre l’âge de 16 et 20 ans le besoin de rentrer au séminaire suite à la rencontre d’un prêtre rayonnant de joie, et à ses lectures très diverses passant du grand géologue Pierre Termier à André Gide sans oublier André Maurois ou Maxence van der Meersh. Il a été marqué par leurs œuvres qui ont concouru à sa découverte de la vie à vivre comme une passion et à sa découverte de Dieu créateur et de la religion non plus comme une morale, mais comme une aventure aux dimensions du monde. En 1939-1940, il rentra à l’Ecole Sainte Geneviève à Versailles. Mais en juin 1940, son père décida de quitter Paris en raison de l’avancée rapide des allemands vers Paris. Il voulut donc rejoindre son épouse et sa famille déjà réfugiées à Grenoble.
Alors, l’abbé Jean Vieillard poursuivit ses années de prépa au Lycée Champollion à Grenoble en 1940-1941.
C’est à ce moment qu’il prit réellement la décision de rentrer au séminaire. Mais le dilemme était là : Admissible à l’X, que faire ? Rentrer au séminaire ou rentrer à l’X ?
A la réaction de son père: « Il vaut mieux consacrer à Dieu une cathédrale qu’une baraque en planches ! », il intégra Polytechnique alors installé à Lyon, en zone libre. A la sortie de l’X en 1943, le gouvernement de l’époque avait le souci d’éviter que les X ne soient envoyés en Allemagne au titre du STO imposé par les occupants. Il fut donc embauché, pour un an, comme ingénieur dans la société Caudron-Renault.
Là, il connut sa première expérience d’autorité. En effet, l’école d’apprentissage formant les ouvriers spécialisés dans l’aéronautique ayant brûlé, ils furent installés dans une ferme en Seine-et-Marne et il se porta volontaire pour les encadrer. Riche expérience humaine…Il entra au séminaire d’Issy-les-Moulineaux en 1944 et y resta 2 ans. Il effectuera les 2 autres années au séminaire des Carmes et sera ordonné prêtre le 16 avril 1949 à Sainte Croix de Neuilly. De 1949 à 1955 il exercera la fonction de Préfet à Sainte Croix de Neuilly. Parallèlement, il resta fidèle au scoutisme en étant aumônier des routiers au sein du mouvement scout dans lequel il a été louveteau, scout puis routier. Comme il avait toujours souhaité s’occuper d’ingénieurs et qu’il entendit que le clergé était à la recherche d’aumôniers dans l’enseignement supérieur, il posa sa candidature. Il réussit à obtenir l’autorisation du Supérieur du Collège de Sainte Croix de Neuilly pour se présenter comme aumônier de l’Ecole Nationale Supérieur de Chimie de Paris. Ce qui fut accepté. Plusieurs années après, il en était même devenu l’aumônier des anciens élèves.
Et un jour, il reçut la visite d’un confrère qui avait fait son séminaire en même temps que lui : « Nous voulons créer à l’Institut Catholique une école d’ingénieurs électroniciens, pourrais-tu en prendre la direction ? » La décision fut prise très rapidement. Il accepta sachant que tous les acquis de sa fonction de Préfet à Sainte Croix lui seront très utiles dans ses nouvelles fonctions.
L’Institut Supérieur d’Electronique de Paris
Il faut se rappeler dixit Jacques Charlin (délégué de la promotion ISEP 1959) que dans les années 1950, la France se remettait des désastres de la guerre et de l’occupation. L’essor des nouvelles technologies développées pour les besoins des armées est exceptionnel et notre pays s’efforçait de retrouver sa place naturelle parmi les nations à la pointe de la recherche scientifique et des développements industriels qu’induisaient ces innovations technologiques. Parmi ces nouveaux secteurs plein de promesses, l’électronique passionnait deux jeunes scientifiques l’abbé Jacques Valentin et son ami Norbert Ségard. Tous deux issus de la faculté des Sciences des Instituts Catholiques de Paris et de Lille, rêvaient de créer une école d’ingénieurs consacrée à cette nouvelle technologie. La pénurie d’ingénieurs dans ce domaine était considérée comme fort préjudiciable aux développements industriels prévisibles et la profession appelait de ses vœux à la création de nouvelles écoles.
Pour faire face à ce défi, l’abbé Valentin proposa à Monseigneur Blanchet un de ses amis, ancien condisciple au séminaire des Carmes, l’abbé Jean Vieillard, pour prendre la direction de la future école. Une chance inouïe pour cet homme de trente trois ans ! Tout était à faire pour ce travailleur acharné. Dans la poursuite de sa mission créatrice, il se donna sans compter au lancement de cet institut. Dès sa disponibilité en 1956, il participa à toutes les réunions du Conseil d’Administration qui décida des principaux aspects de l’école : Programme des études, recrutement des enseignants, des élèves, équipement, construction…
Du Recteur de l’Institut, l’évêque qui lui demanda de prendre cette direction, il ne reçut guère plus qu’une bénédiction ! Mais l’aide de l’industrie fut immédiate et, globalement, généreuse.
Extrait du livre « ISEP, Une école d’ingénieurs du 3ème millénaire » publié en 2005 pour les 50 ans de l’ISEP.
« Il était aisé d’obtenir que des ingénieurs de qualité soient détachés pour assurer divers enseignements. Ils apportèrent non seulement leurs connaissances techniques, mais le climat de l’entreprise. Très heureux d’enseigner, ils firent preuve d’un dévouement et d’un enthousiasme inattendus, établissant un climat de relations fécondes avec l’industrie. Il est vrai qu’elle était très intéressée à la réussite de l’école … L’aide de l’industrie était fidèle et constante. Peu à peu il me fallut créer des postes, déléguer la Direction des Etudes, la responsabilité des Laboratoires, l’administration… Constituer une équipe de Direction .Il fallut gérer et non plus créer. C’est le sort de toutes les PME. Heureusement, il y eut l’adaptation des matières de l’enseignement au rythme des évolutions de la technique. En 50 ans, elles ne manquèrent pas ! Il y eut la relance permanente des modalités de la formation humaine. Et surtout il y eut le renouvellement des jeunes qui entrèrent à l’école avec des mentalités collectives nouvelles : jeunes bacheliers standard de 1955, jeunes loups aux dents longues de 1960, révoltés, politisés, désinvoltes de 1970, étudiants travailleurs et inquiets de leur avenir (comme la génération 1985) alors que l’informatique embauchait à tout va …
L’évolution de la pédagogie en fonction de l’évolution de la mentalité collective des élèves devient essentielle. »« Il y eut des moments de grande satisfaction comme l’obtention du droit de délivrer un diplôme d’ingénieur dès la sortie de la première promotion et l’obtention de la reconnaissance par l’Etat. Enfin satisfaction dernière, une vraie joie : plus de quatre mille ingénieurs formés à l’école continue cinquante ans après sa création ! Il y eut aussi des soucis et des déceptions. La crise de 1968. Elle fut légère sur le moment, tout au plus une résonance avec le Quartier Latin tout proche. Les questions qui se posaient dans les facultés n’étaient pas celles des Ecoles d’ingénieurs. Mais en 69-70, quand arrivèrent à l’école des élèves ayant vécu 68 dans quelques grands lycées, nous eûmes fort à faire pour éviter à certains élèves d’échouer dans leurs études. Malgré nos efforts, quelques-uns ratèrent leur diplôme et leur entrée dans la vie adulte.
Quelques grèves d’élèves qui me paraissaient irrationnelles, ou de collaborateurs permanents, affrontés à des questions de statut ou de traitement que l’école ne pouvait offrir.
Choix, satisfactions, déceptions, voire regrets …
Il y eut des erreurs. Je vous laisse le soin de les découvrir !
Quand je vis arriver à l’école des fils ou des filles d’anciens élèves, je compris que la retraite était proche !
Dialogue
Vous avez commencé en parlant de la présence de l’Eglise dans la technique. Qu’en est-il advenu ?
Je répondrai que l’existence d’une école d’ingénieurs dans le cadre de l’ICP présente, face au public, une présence institutionnelle qui manifeste l’intérêt de l’Eglise pour la technique. Parallèlement, il y a le service que l’Ecole rend aux élèves par la formation qu’ils reçoivent.
Mais quelle fut la présence de l’Eglise pour les élèves présents à l’école ?
Dès l’origine, nous souhaitions que les élèves soient témoins de la vie d’une communauté chrétienne vivante, bien entendu dans le respect de la liberté.
J’ai reçu de la part d‘israélites ou de musulmans des témoignages émouvants à ce sujet.
Au reste, l’animation de cette communauté est du ressort d’une aumônerie et non de la Direction de l’école. L’école a eu la chance d’avoir, pendant trente ans, la présence d’un aumônier.
Même avec un directeur prêtre, il n’y eut jamais aucun mélange des genres.
Une dizaine de prêtres ou de religieuses est sorti de l’Ecole.
Cependant, il est normal que la structure de l’Ecole et son organisation s’inspirent des valeurs chrétiennes : respect des personnes, souci de chacun, participations diverses à la vie de l’établissement, solidarité, etc. J’ai toujours agi dans ce sens. Mais là, tout dépend des personnes présentes à l’Ecole tant dans l’équipe de direction que parmi les collaborateurs et les enseignants. L’Ecole est à l’image de la société, la laïcisation que l’on constate aujourd’hui partout se retrouve dans l’Ecole. Je l’ai vu pénétrer.
Il faut sans doute aujourd’hui réinventer le caractère propre d’une école de l’enseignement supérieur privé catholique
Aujourd’hui, quelque 750 étudiants sont présents à l’Ecole pendant trois ou cinq ans. Il y aurait quelque incohérence à ne rien tenter. Je souhaite que les chrétiens, présents à l’Ecole, soient plus conscients du témoignage dont ils ont la responsabilité.
Permettez-moi pour terminer, des questions plus personnelles. Comment l’idée de créer une école d’ingénieurs peut-elle venir d’un prêtre, que l’on imagine plutôt dans une paroisse ou dans une activité directement religieuse ?
Contrairement à ce que suppose votre question, je n’ai pris aucune initiative. J’ai été invité par l’Archevêque de Paris, dont je dépendais, sur la demande du Recteur, à accepter ce poste.
Je ne l’ai pas refusé et je ne m’y suis pas enfermé.
Et comment avez-vous pu vivre pareil poste ?
Certes, l’histoire de l’ISEP est aussi une histoire personnelle.
Je répondrai d’abord que j’ai été élevé par la conviction que toutes les activités humaines peuvent trouver leur achèvement dans le Christ. Fortement marqué par Teilhard de Chardin dès ma jeunesse étudiante, j’ai été enthousiasmé par la constitution « Gaudium et Spes » du Concile Vatican II. J’étais en harmonie avec la pastorale de l’époque.
Certes, toute vie comporte des contraintes et des privilèges. J’ai consacré chaque jour du temps à la prière et j’ai développé une spiritualité de l’action.
Connaissant solitude (relative !) et stress fréquent, ignorant les 35 heures, j’ai recherché un équilibre de vie de responsable.
J’étais logé à proximité de mon travail ; le sport régulièrement pratiqué m’a bien facilité les choses. Quant au privilège de vivre avec et pour des jeunes il est un stimulant permanent.
L’expérience acquise à l’ISEP m’a permis de collaborer au MCC (Mouvement des Cadres Chrétiens) et aux EDC (Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens) avec une particulière efficacité. Finalement, j’ai été un homme et un prêtre heureux à l’ISEP. »
Jean Vieillard (septembre 2005)
Saint Ferdinand des Ternes
Saint Ferdinand des Ternes est la paroisse de sa famille depuis 1924.
Durant sa présence à la direction de l’ISEP, c’est ici qu’il a eu le plus d’activités sacerdotales même si elles ont été peu nombreuses. Il y a célébré des baptêmes, les obsèques de ses parents, le centenaire de sa mère entre autres. Pendant de longues années, il y a célébré une messe régulière le dimanche. Il était donc naturel lorsqu’il a quitté l’ISEP en 1987, qu’il vienne offrir ses services à cette paroisse. Il fut accueilli d’abord par le Père Philippe Breton qui avait été son élève à Sainte Croix de Neuilly puis par le Père Jean-Yves Riocreux, ancien aumônier de l’ISEP. Tant que sa santé le lui permettait, il est resté aux services de l’église en assurant l’animation de différents groupes comme les équipes MCC (Mouvement des Cadres Chrétiens), une équipe EDC (Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens), une équipe Notre Dame et bien d’autres encore.
Il s’est éteint dans la nuit du 14 février et son enterrement a eu lieu dans sa paroisse de Saint Ferdinand des Ternes entouré de sa famille, de ses amis, du personnel de l’ISEP et d’anciens élèves de l’ISEP qui lui ont rendu un fier et ultime hommage.
La passion de l’escalade
Adolescent, il rencontra un ancien alpiniste de la période 1925, M. Paul qui l’emmena sur les sommets de moyenne montagne aux environs de Saint Martin d’hères. De cette époque, datent plusieurs ascensions dans les massifs de la Chartreuse et du Vercors. Reçu à l’X en 1941, il partit faire un stage d’un mois en Oisans. La finalité de cette épopée était de découvrir la haute montagne et de rendre l’homme autonome dans la sécurité. Grâce à cette expérience, l’abbé Vieillard a emmené ses amis pendant près de 50 ans pour leur apprendre les mêmes choses.
« Courageux, mais pas téméraires, prudents mais pas pusillanimes ». Durant ses différents séjours en altitude, il retrouvait dans ce cadre extraordinaire la beauté comme pressentiment d’un auteur au delà de l’homme.« Dans nombre de religions, la montagne est perçue comme lieu de la proximité de Dieu. C’est un symbolisme très général.
On peut se demander pourquoi ?
La montagne est perçue comme un lieu d’élévation et non seulement d’ascension. L’ascension extérieure peut entraîner aussi une élévation intérieure. La montagne du haut de laquelle on embrasse l’étendue de la création et sa beauté, peut faire ressentir le créateur.»
Pour pratiquer la montagne, il faut être en bonne forme physique. C’est pourquoi l’abbé Vieillard avait sa méthode : Il faisait du sport 3 fois par semaine : 500 m de natation, un cross au jardin des Tuileries et de temps en temps un parcours d’athlétisme au Bois de Boulogne sans oublier les 3 heures d’escalade sur les blocs de grès de Fontainebleau chaque semaine.
Voici un extrait de Dominique Bonnisseau (ISEP 1983) qui se rappelle ces “grands moments” sportifs en compagnie de l’abbé Vieillard : “Etudiant à l’ISEP au début des années 80, nous n’avions pas beaucoup d’occasion de rencontrer le directeur de l’ISEP au cours de nos études. J’ai eu la chance de partager une passion commune qui était de faire de l’escalade à Fontainebleau. Lorsque nous avions la chance de trouver une voiture à emprunter, nous nous retrouvions sur les rochers pour tenter de dépasser ses propres limites. L’abbé Vieillard aimait ces sites grandioses peu fréquentés à cette époque et il aimait la nature environnante. Toujours discret, il savait nous guider et nous faire progresser avec intelligence et respect devant la difficulté. Volontaire, il ne nous laissait pas beaucoup d’autre choix que de progresser et aller au-delà de ce que nous pensions possible. Pour le reste de ma carrière, j’ai toujours pris exemple sur ce volontarisme tranquille qui lui a également permis de développer l’ISEP pendant une trentaine d’années.”
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